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III
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Mers-el-Kébir,
5 avril 1879
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A
onze heures, Plumkett, dont le navire est voisin du mien, vient me prendre
en tartane et, après une heure de traversée sur l'eau bleue
du golfe, nous arrivons à Oran. |
Par
hasard, nous sommes bien disposés l'un et l'autre, et contents d'être
ensemble, ne nous étant pas rencontrés depuis longtemps. Oran,
par ce beau soleil, ce temps splendide, nous paraît aujourd'hui très
pittoresque et très africain. |
Nous
décidons d'aller revoir le lac Salé et le village de
Mizerguin. Mais, avant, par respect pour notre tradition de
jeunesse, il faut nous reposer en plein air, devant le café
Soubiran. Et nous voilà, assis dans la rue, sous ces tentes,
éventés par de grands souffles chauds qui nous apportent
du sable. |
Devant
nous, appuyée à un mur blanc, il y a une jeune fille arabe,
en haillons qui nous regarde avec deux yeux noirs déjà effrontés,
mais bien beaux... Un ressouvenir, un je ne sais quoi de déjà
connu, me repasse en tête, et je l'appelle : « Suleïma
! » Elle relève un peu ses sourcils, l'air étonné,
et mord sa petite lèvre rouge, et puis se cache sous son voile en
souriant. |
Je
lui dis: « Tu es Suleïma, la fille de Kaddour, la petite à
qui je donnais tous les jours des morceaux de sucre ici, il y a dix ans
? Regarde-moi, tu ne te souviens pas ? Oui, dit-elle, je suis bien Suleïma-ben-Kaddour.
» Mais elle a oublié ces morceaux de sucre et s'étonne
un peu que je la connaisse par son nom. Et puis elle continue de rire, et
ce rire très particulier dit clairement le vilain métier qu'elle
a déjà commencé à faire. |
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